THEORIE DE
L'EVOLUTION

Mythologie Bégo



les signes du bego. du chamanisme au bego. un pantheon à ciel ouvert.

André Marro
  

Résumé

Les mythes et cosmogonies racontent les origines du monde par une approche mytho- poétique. J.-P. Changeux  souligne cette élaboration au cœur du cerveau d’Homo sapiens. Les nombreuses gravures rupestres du mont Bego en témoignent et semblent refléter une pensée mythologique méditerranéenne. Cependant une autre de nos capacités est de chercher à classer, lire et simplifier le réel. Ce talent prend toute son ampleur à l’époque dite des présocratiques et montre la fonction du mythe.
Le mythos et le logos sonten un temps unifiés et qualifiés de hiéros. Puis le logos prend le sens austère d'un discours bien réglé pour la conquête de la vérité, le mythos celui, fascinant, de la parole servant à créer l'illusion, bienfaisante ou malfaisante.  

 

Abstract

Myths and cosmogenies tell the tale of the origin of the world using a myhto-poetic approach.  J.-P. Changeux emphasises this development at the heart of the Homo Sapiens mind. The numerous stone carvings from Mont Bego are evidence of this, and appear to reflect mediteranean mythological thinking. However, one other capacity we possess is the desire to classify, interpret and simplify reality. This talent is at its peak in the so called presocratic era, and demonstrates the function of myth.

Mythos and logos are at once unified and qualified as hieros. Logos takes on the austere meaning of a well-rehearsed argument in search of the truth, while mythos, fascinating, that of speech that creates illusion, good or evil.

Mots clés : Gravures ;  Mont Bego ; Chalcolithique ; Mythe ; Raison ; Présocratiques ; Grèce archaïque, Eau primordiale 

Keywords : Engravings ; Mont Bego ; Chalcolitic ; Myth ; Reason ; presocratic ; Archaic Greece ; Primordial water

 

 

Les mythes et cosmogonies racontent toujours les débuts du monde, son premier état larvaire ou germinal car naturellement l’homme est perplexe face à l’aspect mystérieux de la création et cherche à personnaliser cette dernière afin de la ramener à sa mesure. Il peut ainsi la qualifier de bienveillante ou de féroce. Il l’interroge, invente les réponses et espère la maîtriser. Les mythes ont dû prendre naissance dans ce souci de relation au cœur de la perplexité humaine mais pour se perpétuer les mythes et cosmogonies doivent être partagés et proposer une cohérence qui convienne. Face à l’effroi que lui inspire l’inéluctable réalité de sa mort, l’homme proclame sa relation à l’Etre suprême et justifie les « raisons et projets» de ce dernier. Cependant le procédé a ses limites : les Sumériens par exemple ne se résigneront jamais face à la mort des jeunes enfants et l’aspect impitoyable de certaines de leurs divinités comme Tiamat ne suffiront pas à les apaiser.

« Quand (le) Ciel eut été séparé de (la) Terre
-  jusque-là solidement tenus ensemble -
Et que les déesses-mères furent apparues »
- Tablette cunéiforme sumérienne, IIIe millénaire avant J.-C. -

«Lorsqu’en haut les cieux n’étaient pas nommés,
Qu’en bas, la terre n’avait pas de nom,
Que même l’Apsou primordial, procréateur des dieux,
Moummou Tiamat qui les enfanta tous
Mêlaient indistinctement leurs eaux,
Que les débris de roseaux ne s’étaient pas amassés,
Que les cannaies ne pouvaient se voir,
Lorsque nul dieu n’était encore apparu,
N’avait reçu de nom ni subi de destin,
Alors naquirent les dieux du sein d’Apsou et de Tiamat.»
- Enouma Elish ou l’Epopée de la création, Tablette I -


Stèle du dieu Mardouk, Xe siècle avant J.-C.
Musée du Louvre, Paris

Par ses narrations sur le sens et l’origine de tout, l’homme se rend semblable aux dieux créateurs, il  dialogue avec eux et co-participe ainsi à  la créativité de l’univers. Sa condition, de tragique devient digne.

Comme le soulignent J.-P. Changeux et A. Connes dans leur ouvrage « Matière à pensée » , les processus d’adaptation mis en œuvre dans la fonction de représentation du monde sont les mêmes chez l’homme du IVe millénaire avant J.-C., et même probablement du Paléolithique, que chez l’homme contemporain. Seuls les stimuli changent en fonction des choix culturels de l’époque. La représentation en images des pensées, des narrations, des croyances, des aspirations, des observations sur le cycle des saisons de ces hommes de la fin du Néolithique, du Chalcolithique et du Bronze ancien  s’élabore au cœur  du même  cerveau d’Homo sapiens.

Les derniers chasseurs-collecteurs et les premiers pasteurs-agriculteurs du Bassin méditerranéen, face à une terre sujette à des cycles d’abondance et de prospérité puis de stérilité, lui octroient une condition d’être vivant avec un pouvoir de libre choix divin. Elle devient ainsi une déesse mère. Le ciel, quant à lui, par son espace illimité, la pluralité des astres et des nuages, ses grondements, la fureur des éclairs et ses pluies fécondantes, est aisément comparé au taureau combatif ou en rut. Ainsi la mystique des gens du Bego est exacerbée par la rudesse du climat de montagne et l’austérité de la végétation alpine. Cet homme du Bego est capable d’exprimer, à travers ses gravures, l’invariant derrière les variations et l’on devine par leur charge émotionnelle et de sens la recherche instinctive de l’unité primordiale.

Cet homme est en mesure d'ores et déjà :
- de reconstruire des invariants de forme, de couleur, de rapports, à partir d’indices physiques
- de construire un modèle du monde
- d’élaborer des hypothèses pour l’avenir

Ainsi, à partir des indices physiques de l’animal taureau, le référent, il lui est possible de tracer des invariants (un corps et deux cornes, le signifiant) et d’attribuer un sens à l’image conçue et dessinée (le signifié : taureau, bœuf, vache, troupeau, dieu taureau, force?…).

 

Chaque signifiant est investi d’un sens : le signifié

                                                                     

Ce référent donne lieu à une                                                                Chaque indice physique ou
représentation  :  le signifiant                                                    objet est un référent
           

La répétition à plus de 10 000 exemplaires de l’image corniforme sur les roches du mont Bego indique une volonté de sens déterminé par le contexte.

De même à partir des indices physiques du champ cultivé, le référent, il lui est possible de tracer des invariants (un rectangle quadrillé, le signifiant) et d’attribuer un sens à l’image conçue et dessinée (le signifié : champ, récolte, déesse terre, fertilité, force de vie ?…).

 

Chaque signifiant est investi d’un sens  :  le signifié

 

 

  

Ce référent donne lieu à une
représentation  :  le signifiant

Chaque indice physique ou
objet est un référent




De même, à partir des indices physiques de la femme et notamment de la femme enceinte, le référent, il lui est possible de tracer des invariants (deux corniformes opposés dos à dos et fusionnés par le corps, le signifiant)  et d’attribuer un sens à l’image conçue et dessinée (le signifié : déesse terre, fécondité, fertilité…)

signifié : déesse terre

 

Ce référent donne lieu à une
représentation : le signifiant

Chaque indice physique ou
objet est un référent

                                      
La répétition à plus de 500 exemplaires de l’image « réticulé » et celle à plus de 60 exemplaires des corniformes opposés dos à dos et fusionnés par le corps implique les mêmes cnclusions que pour l’image du corniforme.

La plupart des mythologies conçoivent le chaos primordial comme une obscure étendue d’eau, sans limites. Parfois le monde est créé par l’eau elle-même, d’autres fois par une divinité créatrice coexistant avec l’eau de toute éternité. Ce concept de l’eau créatrice est très répandu dans la pratique des rites de renaissance.

L’eau tient une place importante au mont Bego où elle se manifeste sous plusieurs formes, pluies torrentielles, torrents, cascades jaillissantes...

                                  

ZXIX.GIII.R16α, Bego

ZXIX.GIV.R76δ, Bego

Les personnages tiennent un trou naturel d’où sort un zigzag.

                               

ZXIX.GII.R34α (1), Bego

                   ZXIX.GIV.R76α (2), Bego

Lignes droites, lignes ondulées ou en zigzag sortant d’un trou naturel peuvent
représenter un même référent : l’eau jaillissant du rocher.


ZIV.GIV.R10A, Bego
La déesse de l’abondance


Il pourrait s’agir d’un idéogramme représentant l’association d’idées selon laquelle la divinité, ici au centre,
dispense son eau fertilisante sur les champs et les prés ici symbolisés par l’araire et le corniforme.

 

ZXIX.GIV.R13B face b, Bego
 L’irrigation

Les plages rectangulaires peuvent symboliser des bassins d’eau, la ligne, le canal ou le bisse alpin
capté sur le torrent de montagne et qui achemine l’eau vers les prés.

 « Utu de son emplacement céleste,
Tira l’eau (douce) de la Terre
Par des trous d’où elle sourdait :
Il la fit arriver en de larges citernes
Et la ville en fit abondante consommation. »
- Tablette cunéiforme sumérienne, IIIe millénaire avant J.-C. -


La déesse et les réserves d’eau

Dans une autre composition, à nouveau le personnage féminin abreuve de tout son corps les plages rectangulaires, réserves d’eau pérenne qui permettront d’irriguer les prés et les champs.

L’eau, omniprésente dans toute la région, ne représente-t-elle pas la notion de totalité du principe d’origine ? Ses différents aspects, sombre et calme dans les lacs, rapide et écumante dans les torrents, jaillissante et lumineuse dans les sources, destructeur par le gel des cultures, ne nous font-ils pas penser au chaos des eaux primordiales ? De ces eaux primordiales pourraient émerger ensuite les premières scissiparités :
- La déesse, principe de fertilité par l’eau jaillissante et irriguant les terres, mais également force brutale par la fougue des cascades ou l’aspect dévastateur du gel.
- Le taureau, géniteur par la pluie fertilisante assimilée au sperme, fécondateur par la puissance de traction de l’araire, force brutale instinctive, par le grondement du tonnerre et la violence aléatoire de la foudre.

L’eau ne serait-elle pas l’archétype majeur de toute la pensée du Bassin méditerranéen ? Les divers aspects que prend l’eau sur ce territoire défini lui donne un caractère à la fois un et multiple. Indéniablement cette eau, si étrange, devait hanter l’imaginaire de ces peuples de montagnards. Aussi se sont-ils autorisés à immortaliser par leurs signes durant des siècles leurs rites, préoccupations, admirations et craintes, en un mot leur cosmogonie.


ZXII.GIV.R8α, Bego
La vasque des corniformes opposés par les cornes

La roche et l’eau, éléments antagonistes dans leur composition, sont ici  réunies. Deux corniformes dont les cornes sont réunies enserrent une petite vasque naturelle sur une roche horizontale. Cette cuvette se remplit en temps de pluie et permet de penser que la représentation est en relation avec l’eau du ciel qui fertilise la terre.


ZXIX.GIV.R13B face b,  Bego
      Scène d’irrigation

Ces signes, symboles et idéogrammes de l’eau gravés durant des siècles au mont Bego semblent témoigner d’une célébration de l’eau. Les sept personnages disposés autour des grands bassins ne  lèvent-ils pas les bras pour célébrer l’arrivée de l’eau dérivée du bisse, celle qui va garantir la croissance végétale et assurer la nourriture des troupeaux ? Rappelons que dès l’âge du Bronze, dans les Alpes méridionales les techniques d’irrigation étaient la clé de voûte d’une économie agro-pastorale.

Ces représentations pourraient avoir été gravées au cours de cérémonies propitiatoires. Encore récemment de telles processions avaient lieu dans les Alpes méridionales pour faire pleuvoir, se protéger de la grêle, de la tempête, de la foudre et des incendies mais aussi pour protéger la moisson, la vigne, les bêtes de traie et les troupeaux.

  

ZXIX.GIV.R21α, Bego
Les cornes du corniforme se transforment en canal

Les compositions gravées du mont Bego se doivent d’être aussi observées les jours d’orage car le système « signes symboliques - éléments naturels » se met alors à fonctionner pleinement. L’eau sourd des fissures et des trous naturels, les vasques se remplissent, les gouttières inondent les longues séries de corniformes-bétail et de réticulés-champs gravées sur les roches en pente.

En osmose avec une pensée mythologique méditerranéenne, ne sommes-nous pas également en présence d’un fond sémantique dont les signes majeurs seraient la grande déesse, le taureau, et l’eau en tant qu’élément indifférencié et unificateur des deux précédents ? Ces gravures cristallisent et articulent le monde des intuitions. Elles objectivent un monde imaginaire et le codifient.

Notre capacité à nous représenter le monde de façon mytho-poétique a permis la construction des grandes cosmogonies, mythologies et théogonies. Cependant une autre capacité est de chercher à classer, lire et simplifier ce réel. Ce talent prend toute son ampleur à l’époque dite des présocratiques.
A l'âge de la Grèce « archaïque », le mythos et le logos sont unifiés et qualifiés de hiéros. Les confréries recrutées par cooptation et initiation, titulaires d'un savoir, comme celles des médecins, des potiers, des forgerons, ou des éleveurs de chevaux, se retrouvent dans cette unité.

Ce n’est que bien plus tard que Platon, au livre II de La République à propos des mythes d'Homère, d'Hésiode et des tragiques,  dira clairement  : entre muthos et logos, il faut choisir. En cela il ne fait que cristalliser une tendance largement amorcée au septième siècle avant notre ère. Pour les grands sages de la Grèce de cette époque, chercher la raison d'être exclut que l'on raconte des histoires. Les mythes sont considérés comme des allégories ; les vérités y sont dissimulées et doivent être percées à jour. En ce sens ils peuvent  être abordés comme une manière pré-scientifique de chercher le sens du réel. La question est de savoir si ce que dit le mythe dit quelque chose de plus que ce que peut dire la raison. Dès lors, muthos et logos s'opposent ; mais si l’on accepte notre capacité physiologique à une double lecture du monde, ils se rejoignent - ce dont témoigne l’ancienne étymologie de muthos qui signifie parole -.


La fonction du mythe

Le mythe cosmogonique, au-delà de sa dimension poétique, joue un rôle capital dans les rites de régénération et de réactualisation annuelle de la création et contribue également à l’élaboration de l’idée du temps circulaire, ou encore réversible, liée probablement à une observation de la nature.

Si la réflexion sur la réalité ultime s’est constituée essentiellement par le souci de rechercher une « familiarité » avec les commencements du monde et des dieux, elle permet d’abolir le temps, de rejoindre réellement, existentiellement le commencement et de s’autoriser à percer le mystère de l’Être. Ainsi nous avons vu que le mythe est un « récit des origines » possédant une fonction d'instauration. L'événement fondateur se situe dans un temps in illo tempore  avant l'histoire.

Toutefois cette définition est limitative car le mythe fonde le rite. Mais le rituel ramène et perpétue dans le temps présent le mythe du temps primordial. En définitive si le rite naît du mythe, il le porte. Une autre de ses fonctions est de réactiver l’émotion archaïque et ambivalente de l’homme face à l’univers. Cette re-création « mytho-poétique » perpétuelle semble participer à la cohésion de notre espèce. Ainsi les multiples fins du monde et les « morts de dieux »  annoncent les émergences : par exemple la fin des dieux anciens et l'intronisation de Mardouk, la mort de Cronos et le règne de Zeus, la fin du courroux des Erinnyes et la promotion d'Apollon, dieu de la lumière, le Déluge, fin de monde et émergence de monde. Nous pourrions parler d’émotions archétypales pouvant ainsi cycliquement s’exprimer.

Hésiode, considéré comme le premier théologien et poète inspiré, semble en son temps vouloir codifier la pensée d’Homère. Le don de voyance d’Hésiode lui aurait permis d'entrer en contact avec l'autre monde et d'instaurer la Vérité. Sa cosmogonie pose à l'origine trois principes : la Terre et le Chaos et un principe d'union nommé l'Amour . En ce qui concerne l'Amour, Hésiode l'aurait promu du rang de divinité rustique locale à celui de principe.

«Donc avant tout fut Abîme (Chaos) ; puis Terre (Gaïa) aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tout les vivants, et amour (Eros), le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt les membres et qui dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme dompte le cœur et le sage vouloir. […]
Terre, elle, d’abord enfanta un être égal à elle même, capable de la couvrir toute entière, Ciel étoilé (Ouranos), qui devait offrir aux dieux bienheureux une assise sûre à jamais. Elle mit aussi au monde les hautes Montagnes, plaisant séjour des déesses…»
Hésiode, Théogonie

Par la suite cette théogonie provoque la réflexion d’Héraclite qui lui reproche tout d’abord que son œuvre représente uniquement un syncrétisme des cultures antécédentes. Surnommé « l'Obscur », Héraclite (VIe-Ve siècle avant J.-C.) est avec Anaximandre, Parménide et Empédocle, une figure fondatrice de la pensée présocratique. Ses écrits proposent  une possibilité de dire le plus clairement possible quelque chose de l'Etre ; ce souci de dépoétiser les récits mythiques et de clarifier la réflexion sur l’Etre se manifeste dès Thalès de Milet (VIIe siècle avant J.-C.).

Ce nouveau discours, ou logos, révèle que les « physiciens » ont choisi de poser à l'origine un seul principe (l'Eau de Thalès, l'Air d'Anaximène, le Feu d'Héraclite), ou un couple contrasté (le vide et le plein, le chaud-lumineux et le froid-ténébreux des vieux pythagoriciens). Le schéma de ces  « physiciens » respecte pourtant la structure maîtresse des cosmogonies à savoir la production de toutes choses à partir d'une seule, ou à partir d'un couple principiel. On peut saisir également que l’étoffe cosmique se substitue au nom d'un dieu.

Si parfois le vocabulaire ontologique est difficile à saisir (notamment dans les tables pythagoriciennes avec l'Un et la Dyade, la Limite et l'Infini, en colonne avec le Mâle et le Féminin, la Lumière et la Ténèbre), l'essentiel reste l'élévation du niveau d'abstraction. Les Ioniens, par exemple, mettent au commencement l'Eau, l'Air ou le Feu mais surtout un principe sous-jacent et un seul nommé l'« Un ». De plus la chose conçue avant le commencement, et qui engendre toutes choses avec leurs formes et limites, sans se confondre avec aucune d’entre elles, est appelée  le « Sans-Limite »  « (il) a été, (il) est, (il) sera », devient  dans un énoncé correctif : « (il) n'a pas été, (il) ne sera pas, puisqu' (il) est tout entier, présent ». Ainsi le plus précieux ne se laisse plus du tout imaginer. Il se laisse toutefois encore nommer avec des mots de techniciens dans des propositions enchaînées à la manière des géomètres.

Peu à peu  se forge ainsi un nouveau discours qui se veut « discours plein de sens », mais le sens même le plus inaccessible se donne toujours avec une phrase : les présocratiques le désignent par le mot logos qui signifie le « discours ». Le terme  logos avait déjà pris en une haute époque le sens de « récit » ou « parole » mais il est alors qualifié de « sacré », ce qui suppose par opposition l’existence d’un récit profane. Mythos et logos se sont séparés avec la probable mise en exergue de la problématique de l'illusion ou du mensonge. Dès lors Le logos prend le sens austère d'un discours bien réglé pour la conquête de la vérité. Le mythos a pris le sens fascinant de la parole servant à créer l'illusion, bienfaisante ou malfaisante.  

Sur cette coupe laconnienne, Atlas et Prométhée mettent le pied sur une colonne symbolisant la Terre,
telle qu’Anaximandre l’avait décrite.

Bien plus qu’une morale, la sagesse est une tentative d'exploration de l'univers dans son immense diversité. Les présocratiques s’adonnaient à des activités d’observation et de classification : animaux, plantes, pierres, peuples, événements et, encore, couples antagonistes (mâle-femelle, ciel-terre, lumière-ténèbres, êtres vivants-êtres inanimés, souffle-chair, sauvage-domestique, pur-impur, jardin-steppe, arbre de vie-herbe stérile). Leur logique est d’autant plus intéressante qu’elle repose sur une disposition naturelle de la pensée, la sagesse faisant consciemment ce que le mythe fait de façon allusive. Entre les prescriptions du rite et les classifications de la pensée scientifique nous devinons aisément la base commune. Mais la volonté scientifique de ces premiers penseurs est de chercher une signification, un ordre par le classement ; l'esprit devient alors discriminatif à l'égard des ambiguïtés de la réalité. L'homme confronté au désordre apparent de la condition humaine cherche un sens : connaître le monde, c'est être capable d'y vivre en dépit de son apparente absurdité.   

Plus tard Hegel avancera que les représentations religieuses appartiennent à l’avant-dernière étape d'un itinéraire qui s’achève dans le savoir absolu. Le contenu de la religion et celui de la philosophie ne peuvent pas être différents parce que la conscience absolue de soi est unique. La tâche de la philosophie est de montrer qu’« une idole doit mourir pour qu’un symbole naisse », puis que la mort des symboles naturels permet l'intériorisation du Soi. Ainsi se détache la révélation de Hegel « l'esprit étant-là » : le symbole doit être est une représentation mourante pour participer à l'émergence de la conscience elle-même habitée par l'absolu. Pour Hegel le mythe préfigure l'unité. Récits, mythes, prophéties, sagesse viseraient à composer ensemble un langage total ou, selon le mot de Jean-Paul Audet, une « appropriation totalisante » de tout l'héritage d'une communauté.

- Toutes les photos et relevés de figures de la région du mont Bego proviennent
du Laboratoire de Préhistoire du Lazaret à Nice -

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